MSD MAG N°16 – Retour vers le futur

Sommaire

  • 2034
  • Je mangerai, donc je serai … quel marché pour la consommation de demain ?
  • Quel établissement vétérinaire demain ?
  • Portrait imaginaire du propriétaire d’animal de compagnie en 2030
  • Immersion chez Théo, éleveur robotisé de demain
  • Le règlement européen : quel impact pour les vétérinaires ?

Management

Quel établissement vétérinaire demain ?

Portrait imaginaire du propriétaire d’animal de compagnie en 2030

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Immersion chez Théo, éleveur robotisé de demain

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Communication

2034 par Jean-Pierre Samaille

« Ah bon dieu si on était deux. » Kiliana écoutait cette chanson de Michel Sardou désormais interdite par le gouvernement Macron VII. Elle l’avait trouvée sur le cloud en mettant la main sur la playlist de son grand-père, vétérinaire, comme elle. Mais elle était seule. Depuis les « affaires », les hommes n’osaient plus aborder les femmes, tout compliment, toute oeillade, les conduisaient en prison. Les enfants désormais se faisaient uniquement par GPA.

Issue de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Cluj, elle avait trouvé ce job chez World®PetCare, la désormais seule chaîne de cliniques vétérinaires à exercer en Europe. Elle aurait bien fait ses études en France, mais les écoles vétérinaires avaient fermé. Il n’y avait plus d’élevage bovin, ni porcin : les lobbies avaient bien essayé, pendant des lustres, de contrecarrer les publications qui donnaient l’alerte, mais c’était désormais certain : la viande provoquait le cancer du côlon, et les produits laitiers le cancer du sein.

Tout le monde désormais était vegan, les gens vivaient plus vieux et on avait ouvert de grands villages où des Alzheimer déambulaient sans relâche, parfois jusqu’à l’âge de 120 ans. Il n’y avait plus de chiens, non plus. L’épidémie de grippe canine de 2022 avait conduit à l’éradication de l’espèce. L’épizootie avait fait plus de cinq millions de morts. Seuls les chats demeuraient autorisés. Mais ils ne devaient être soignés que par des femmes. Une conséquence de plusieurs affaires retentissantes. Toute suspicion de harcèlement était sévèrement condamnée. En médecine vétérinaire féline, les hommes étaient interdits d’exercice. Une affaire avait fait grand bruit : une pet parent avait accusé un vétérinaire mâle d’attouchements sur sa chatte. Le hashtag touchepasmachatte avait fait le tour du monde. Suivi par mypussytoo.

Ce jour là, elle était de garde devant l’Ovarect®, un robot qui ovariectomisait les chattes, cela la changeait du Burnes Out®, qui émasculait les chats. Vétérinaire 2034 par Jean-Pierre Samaille n’était plus désormais qu’un métier de surveillance de quelques machines qui avaient été mises au point par World®PetCare, pour éviter les erreurs humaines. Tout chat malade passait dans le tuyau de l’IRM qui recrachait sur l’écran le diagnostic et le traitement.

Elle se sentit soudain très seule, se souvenant de son grand-père qui, à la fin de sa vie, radotait sans cesse : « c’était mieux avant ». Elle n’en avait jamais rien cru, mais elle se demanda soudain s’il n’avait pas un peu raison. Décidément, elle vieillissait. Aussi.

Merci à L’Essentiel, dont nous avons emprunté la caricature de Jean-Pierre Samaille en couverture de son livre « Essentiellement vôtre ».

Je mangerai, donc je serai … quel marché de la consommation demain ?

Les attentes des français vis-à-vis de l’alimentation évoluent. Si en 1960 le besoin de manger à sa faim guidait la croissance en volume de la production alimentaire française, de nouvelles contraintes se sont imposées : praticité, équilibre et bienêtre, plaisir, convivialité…. La réduction du budget alloué au poste alimentaire, du temps consacré aux repas et à leur préparation, et des besoins énergétiques a ainsi progressivement déplacé le curseur de la consommation vers une volonté de manger mieux.

Quelques repères actuels :
• La part de la viande et des matières grasses diminue significativement dans le panier alimentaire moyen des français, du fait de préoccupations grandissantes autour de la santé. (23 % des Français ont limité volontairement leur consommation de viande, notamment en boeuf, porc, lapin et veau).
• Avec la modernisation des modes de vie, les produits bruts (notamment les fruits et légumes) sont progressivement remplacés par des plats préparés ou des repas « prêt à manger ». Une tendance renforcée par l’essor de la livraison de repas à domicile.
• La structure des repas se simplifie, la traditionnelle formule « entrée-plat-dessert » devenant moins systématique, au profit de repas plus rapides. Les particularités françaises perdurent : importance de la commensalité et des normes sociales autour de l’alimentation, valorisation du terroir et du plaisir associé à la prise alimentaire.Ces évolutions des comportements alimentaires s’inscrivent dans un ensemble d’évolutions socio-économiques plus globales : multiplication des sources d’information, mondialisation, accélération des modes de vie, urbanisation, arbitrages économiques, etc… sont autant de facteurs qui influencent nos régimes alimentaires au quotidien.


PORTRAIT DU CONSOMMATEUR DE DEMAIN


Il est à la fois radin et inquiet. Il est de plus en plus exigeant mais ne demande qu’à être rassuré. Avec un revenu médian de 1700 € par mois, il doit faire des arbitrages. Toute dépense est concurrente d’une autre dépense. Le consommateur cherche à donner le  maximum de valeur à chaque euro dépensé. En conséquence, la pression des promos, particulièrement en alimentaire, s’est considérablement durcie au cours des cinq dernières années. L’évolution des prix des produits de grande consommation était positive jusqu’en
2009, elle est aujourd’hui négative (-0.4% en 2017). L’évolution de la consommation continue à progresser mais moins vite (2,5 % par an jusqu’en 2008, 0,7 % par an depuis). Le consommateur est néanmoins prêt à être rassuré, et à payer plus
pour ce faire. Le terreau est plus que jamais fertile pour une bonne valorisation alimentaire et toutes les démarches qui y participent.

La preuve par 3 :
• Le consommateur est toujours inquiet : plus de 50 % de la population se dit inquiète ou très inquiète de la qualité des produits alimentaires qu’elle consomme et en particulier sur la présence de produits chimiques, le bien-être animal, la composition des aliments et l’hygiène des denrées.
• Le consommateur est toujours plus réceptif aux réassurances
– augmentation des ventes totales de produits bio
– une confiance accrue dans les marques connues
– lien entre alimentation et santé : 2/3 des consommateurs jugent probable le risque que les aliments nuisent à leur santé (pesticides, antibiotiques, OGM, l’huile de palme…). La consommation de produits dits sains est en plein boum.
• S’il est souvent difficile de discerner le mouvement durable du phénomène de mode, le consommateur s’oriente de plus en plus vers des modes de consommation alternatifs : végétarisme, veganisme, flexitarisme.

DEMAIN DANS MON ASSIETTE : transparence et naturalité

La conversation autour des régimes alimentaires individualisés sera donc sans conteste la tendance la plus forte, et probablement pour plusieurs années. Au-delà des opportunités de développement de gamme, les professionnels de l’alimentaire doivent indéniablement se résoudre à ne plus considérer les consommateurs comme une masse homogène, mais comme une somme d’individus aux aspirations diverses et affirmées. L’attention portée au produit, à son origine et à son mode de fabrication est devenue une condition d’achat implicite. S’approvisionner localement, être transparent, rendre accessible la traçabilité des produits, seront dans les prochaines années des clés déterminantes pour la pérennité de la relation de confiance entre les marques et les consommateurs. Aujourd’hui, la part de l’alimentation dans le budget des ménages augmente de nouveau, après 50 ans de baisse régulière. Le consommateur valorisera sa consommation alimentaire en étant prêt à payer un peu plus cher les produits de qualité. Les distributeurs suivent cette tendance par des politiques nouvelles d’offre de marchandises et de concepts en magasin, ce qui impacte directement les filières de production notamment animales : le développement de la filière qualité Carrefour en poulets label rouge, élevés en plein air, sans OGM et sans antibiotiques, en est une illustration.

Le règlement européen : quel impact pour les vétérinaires ?

L’avis d’Éric Vandaële

Qui de plus pertinent qu’Éric Vandaële pour nous donner son interprétation de l’impact du règlement européen « médicament vétérinaire » sur les praticiens ? Notre analyste des textes de loi a accepté de répondre à MSD Mag pour ce numéro prospectif… en émettant quelques réserves sur ce qui pourrait se produire, à horizon 2021 (encore quelques incertitudes) et beaucoup de points d’interrogation passée cette échéance de 2021 !

La profession vétérinaire échappe encore au couperet du découplage prescription-délivrance, pour longtemps ?


Éric Vandaële: Ce règlement Européen n’est en effet pas celui du découplage. Il accepte tous les circuits de vente, le couplage comme le découplage. Si on veut vraiment se faire peur, nous pourrions imaginer, d’ici 2025, une crise médiatique qui entraînerait un refus du
couplage prescription délivrance par l’opinion publique. Mais, en l’absence d’une telle crise, le système ne sera pas remis en cause. En grande partie parce que les vétérinaires ont montré l’intérêt du couplage prescription-délivrance et leur implication dans le cadre du Plan EcoAntibio.

La prescription-délivrance hors examen clinique est-elle compatible avec ce règlement ?


Éric Vandaële: Oui. Et ce n’était pas prévu comme cela dans le texte initial. La prescription est en effet rédigée, soit après examen clinique, soit après évaluation de l’état de santé de l’animal ou des animaux. Elle devra aussi mentionner le diagnostic : la maladie à traiter ou à prévenir, ce qui renforce le rôle du vétérinaire. La nouveauté, c’est aussi que la validité de la prescription vétérinaire pour les antibiotiques est réduite à 5 jours. Cela n’interdit pas une durée de prescription supérieure à 5 jours, mais il ne pourra plus être vendu d’antibiotiques sur la base d’une ordonnance datant de plus de 5 jours. Par ailleurs, le règlement européen encadre fortement la métaphylaxie et la prévention par des antimicrobiens. Un diagnostic sur des animaux malades devrait être exigé en métaphylaxie. Et la prévention est réduite à des traitements individuels pendant les périodes à risque.


Les ventes en ligne au détail de médicaments vont-elles se développer ?


Éric Vandaële: Sans doute. Mais cela ne devrait pas être une révolution. Les ventes en ligne intra-européenne sont limitées aux seuls médicaments sans ordonnance. Sur le Web, les frontières ne seront pas ouvertes à des ventes à distance pour les médicaments sur prescription. 

En France, l’essor des boutiques en ligne adossées à des cliniques vétérinaires est nécessairement limité par le fait que le praticien « ne tient pas officine ouverte » et que son exercice de la médecine ne lui permettra sans doute pas facilement de devenir une profession
commerciale. Car vendre en ligne un médicament vétérinaire sans ordonnance pour un animal et un propriétaire que l’on ne connaît pas est bien un acte de commerce sans lien avec la médecine vétérinaire ! Cela n’est pas interdit à un pharmacien. Mais cela risque de l’être pendant plusieurs années encore pour les vétérinaires. S’ils souhaitent développer ce canal de distribution, les vétérinaires peuvent mettre en place des sites sécurisés de ventes en ligne réservées à leurs seuls clients. De mon point de vue, en médecine canine ou féline, c’est un fantasme d’imaginer que les vétérinaires vont pouvoir développer de façon énorme leurs ventes en ligne de médicaments. Car le lien avec l’examen de l’animal reste très fort. D’ailleurs, en humaine où un système équivalent est mis en place depuis plusieurs années, très peu de gens achètent leurs médicaments sans ordonnance sur internet ! Néanmoins, il y aura, c’est certain à l’avenir, davantage de ventes en ligne pour de médicaments non soumis à ordonnance, ou/et sur des produits non médicamenteux comme les aliments.

Finalement, on a l’impression que ce règlement européen, c’est « beaucoup de bruit pour rien »

Éric Vandaële: Dans trois ans, en 2021, ce règlement « abrogera et remplacera » la quasi-totalité des dispositions nationales sur la pharmacie vétérinaire. Et celles qui resteront devront sans doute être réécrites en conséquence. Ce n’est pas rien. Mais, le Conseil européen a veillé à ce que le nouveau règlement puisse être compatible avec tous les systèmes nationaux de prescription-délivrance. Du coup, les équilibres ne changent pas. Néanmoins, de nombreux textes d’application devront être publiés par la Commission européenne et les États membres d’ici à la fin 2021. Et le diable se cache dans les détails, dit l’adage. Par exemple, le déconditionnement lors des ventes au détail, qui s’est généralisé depuis longtemps, devrait faire l’objet d’un encadrement par l’État membre qui les accepte sur son territoire. Pour le moment, elles ne sont permises en France que dans la mesure où aucun texte ne les interdit… L’autorisation de la publicité pour les médicaments immunologiques auprès des éleveurs peut avoir un impact positif sur la prévention dans son ensemble. Cela devra aussi être encadré par un autre texte en droit national. Enfin, ne l’oublions pas, l’obligation pour le vétérinaire d’inscrire le diagnostic sur la prescription devrait considérablement renforcer le lien entre les soins et la pharmacie.

Au-delà du règlement européen applicable en 2021, quelle vision peut-on avoir du marché vétérinaire en France à horizon 2030 ?


Éric Vandaële: À la fin du XXème siècle, les résidus ont occupé le devant de la scène avec la problématique des LMR obligatoires pour tous les composés à compter du 1er janvier 2000. La décennie 2010-2020 aura été marquée par la prise en compte de  l’antibiorésistance. Il n’y a d’ailleurs eu aucun antibiotique nouveau depuis 2011 et les AMM accordées à la tildipirosine (Zuprevo°). Pour la ou les décennies suivantes, deux problématiques peuvent prendre le dessus ; le bien-être animal et l’écotoxicité. Avec le plan  EcoAntibio, nous assistons à un développement des produits phyto et « naturels » dits alternatifs, mais sans réelle évaluation de leur innocuité et leur efficacité par une autorité indépendante. Un jour ou l’autre, la question de l’absence d’autorisation de ces produits se posera. Le règlement prévoit d’ailleurs un rapport sur ce point en… 2026. Au niveau des laboratoires pharmaceutiques, la concentration pourrait se poursuivre encore un peu. Mais, parallèlement, des petites entreprises pharmaceutiques innovantes ou de génériques émergent et trouvent leur place face à ces mastodontes. Enfin, je suis convaincu que, pour le vétérinaire, « le pire n’est pas certain ». Il y a 30 ou 40 ans, les vétérinaires étaient très inquiets face à l’arrêt annoncé de la vaccination antiaphteuse. Certains y voyaient déjà la mort des vétérinaires ruraux. À cette époque, aucun d’entre eux n’aurait osé imaginer que les ventes de petfoods deviendraient la première catégorie de produits revendus dans les cliniques. Il est évident que le futur ne sera pas comme aujourd’hui, tout comme le présent ne ressemble pas au passé. Et, même si certains changements sont imprévisibles — les prédictions ne sont pas des prévisions —, le mieux est tout de même, en toutes circonstances, de « regarder loin pour ne pas voir les ennuis de (trop) près ».

Entretien réalisé fin juin 2018

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